Le nourrissement des colonies d’abeilles, une pratique largement partagée

Par Itsap-Com, le 6 September 2022

Observation à la loupe dans les exploitations du Réseau d’exploitations apicoles de référence

Parfois décrié, le nourrissement des colonies d’abeilles est une pratique nécessaire et répandue chez les apiculteurs professionnels. Les quantités de nourrissement sont distribuées selon les besoins estimés par l’apiculteur pour ses colonies. Elles dépendent du calendrier des miellées, de la localisation des colonies, des conditions climatiques de l’année, des pratiques de l’apiculteur et de la/les génétiques utilisées. Mais qu’en est-il en pratique des apports réalisés par les apiculteurs ? Grâce au Réseau d’exploitations apicoles de référence (RER), nous avons analysé une série de 10 années de données concernant le nourrissement des colonies d’abeilles. Voici des premiers éléments de réponse. 

Issus des données fournies par le Réseau, cette collecte d’information s’intéresse plus spécifiquement au nourrissement glucidique des abeilles ainsi qu’au coût financier qu’il représente pour les exploitants. Une analyse plus poussée pourra être menée plus tard en s’appuyant sur l’expertise des salariés du réseau des ADA. Les résultats commentés dans cet article reposent sur 300 données issues de 103 exploitations distinctes (tableau 1), participant au Réseau et enquêtées depuis 2011. Par « donnée », il faut entendre une exploitation suivie pendant une année. Certaines exploitations ont été suivies plusieurs années de suite. 

Notons également que les effectifs par région et par année varient fortement d’une année sur l’autre. Par exemple, la région Provence-Alpes-Côte d‘Azur a participé au RER en 2011 uniquement. Dans les Pays de la Loire, une seule exploitation a été suivie entre 2014 et 2017. Par ailleurs, l’année 2020 présente le plus petit effectif avec seulement 9 exploitations disponibles au moment de l’observation : quatre en Auvergne-Rhône-Alpes, quatre en Bourgogne-Franche-Comté et une implantée dans les Pays de la Loire. 

Tableau 1 : Des données issues principalement des régions Occitanie, Bourgogne-Franche-Comté et Centre-Val de Loire. Nombre de données (1 exploitation, 1 année) par région et par année.

Pour commencer, voici le format graphique que nous allons utiliser pour représenter la distribution des données :


Un « box-plot » ou « boîte à moustache » est un graphique simple composé d’un rectangle (boîte) duquel deux droites (ou « moustaches ») sortent afin de représenter la distribution des données. 

La valeur centrale du graphique, à l’intérieur de la boîte, est la médiane, ce qui veut dire qu’il existe autant de données supérieures qu’inférieures à cette valeur dans l’échantillon. De plus, 50 % des données se trouvent à l’intérieur de la « boîte », entre le 1er et le 3ème quartil. Les valeurs plus « extrêmes » sont représentées par des points au-delà des droites sortant du rectangle. 

Le nourrissement glucidique, principal apport des apiculteurs aux colonies 

Dans cet article, nous nous intéressons au nourrissement glucidique. En effet, le nourrissement protéique est très limité dans les exploitations suivies dans le RER. Sur les 300 données, seules 40 présentent un nourrissement protéique, avec une médiane de 104 g par colonie nourrie avec des produits protéiques par an. Dans ces cas, l’origine indiquée du nourrissement était : « pollen produit sur l’exploitation », « pollen acheté » et « autre produit protéique ». 

Pour pouvoir comparer le nourrissement glucidique entre les exploitations, nous travaillons en « kg équivalent sucre », qui dépend de la teneur en sucre du produit, selon les correspondances ci-dessous (Tableau 2). 

Tableau 2 : Table des correspondances de nourrissement glucidique en kg équivalent sucre.

Sur les 300 données disponibles, nous avons additionné les quantités de nourrissement en équivalent sucre apportées pendant la saison, par exploitation, puis divisé cette somme par le nombre de colonies hivernées par exploitation, pour l’année en cours.

Graphique 1 : Une médiane de 7 kg équivalent sucre par colonie hivernée par an. Quantité de nourrissement glucidique en kg équivalent sucre donné tout au long de l’année et rapporté par colonie hivernée. 
Tableau 3 : Valeurs des minimums, premier quartil, médiane, moyenne, troisième quartil et maximum pour le boxplot de la quantité de nourrissement en kg équivalent sucre par colonie hivernée et par an.

Sur le graphique 1 et le tableau 3, nous observons la répartition des quantités de nourrissement données tout au long de l’année par colonie hivernée, toutes exploitations et régions confondues. La médiane est de 7,0 kg équivalent sucre par colonie hivernée, cela signifie que 50% des données sont au-dessus de 7,0 kg et 50% au-dessous. De plus, 50% des données de nourrissement se situent entre 2,4 kg et 10,9 kg équivalent sucre par colonie hivernée par an. On note cependant que 25% des exploitations suivies ont donné moins de 2,4 kg équivalent sucre par colonie par an et 25% d’entre elles ont donné entre 10,9 kg et 23,3 kg équivalent sucre par colonie par an. Le nourrissement glucidique est largement répandu dans les exploitations du RER avec une quantité médiane et moyenne non négligeable, autour de 7 kg équivalent sucre donné au cours de la saison par colonie hivernée. 

Le nourrissement glucidique en augmentation au fil des ans

Nous avons également regardé l’évolution de la quantité de nourrissement glucidique donné par colonie hivernée, de 2011 à 2020.

Graphique 2 : Globalement, une quantité de nourrissement donnée par colonie en augmentation avec le temps. Quantité de nourrissement glucidique en kg équivalent sucre par colonie hivernée pour chaque année.
Tableau 4 : Valeurs des minimums, premier quartil, médiane, moyenne, troisième quartil et maximum pour les boxplots de la quantité de nourrissement en kg équivalent sucre par colonie hivernée pour chaque année.

Sur le graphique 2 et le tableau 4, nous remarquons que la quantité de nourrissement varie chaque année, en lien avec les ressources naturelles disponibles et les besoins des colonies. La médiane globale (sur toutes les années de suivi) est de 7,0 kg équivalent sucre (représentée en pointillée sur le graphique 2), une valeur qui pourrait définir, la quantité « normale » apportée par les apiculteurs par colonie et par an, pendant la durée de nos observations. Nous remarquons que les deux premières années du suivi RER (2011 et 2012) sont les seules années pour lesquelles les médianes annuelles sont inférieures à la médiane de l’ensemble des données. Mais à noter que pour ces deux années, le nombre de données de la région Occitanie sont proportionnellement plus nombreuses que dans les autres régions. Aussi, on peut supposer que les pratiques des exploitations de cette région tirent vers le bas les quantités globales de nourrissement reçues par colonie hivernée. De 2013 à 2020, les médianes annuelles de quantité de nourrissement glucidique reçu par colonie hivernée sont supérieures à la médiane de l’ensemble des données. Pour l’année 2020, les données (au nombre de neuf) reposent principalement sur les régions Bourgogne-Franche-Comté et Auvergne-Rhône-Alpes. Force est de constater que les apports en nourrissement par colonie hivernée augmentent depuis le début de nos observations. Est-ce à dire que l’on s’oriente vers une nouvelle manière d’élever les abeilles ?

Les sirops du commerce largement plébiscités par les utilisateurs

Il existe plusieurs sources de sucre pouvant être apportées aux colonies d’abeilles : les sirops issus de l’agroalimentaire (maïs, betterave, etc.) ou le miel provenant des colonies. Nous nous sommes donc intéressés au type de produit glucidique et aux quantités apportées aux colonies par les apiculteurs.

Graphique 3 : Le sirop du commerce, produit majoritairement utilisé pour nourrir les colonies. Quantité de nourrissement glucidique en kg équivalent sucre par colonie hivernée et par an.
Tableau 5 : Valeurs des minimums, premier quartil, médiane, moyenne, troisième quartil et maximum pour les boxplots de la quantité de nourrissement en kg équivalent sucre par type de nourrissement glucidique par colonie hivernée et par an.

Sur le graphique 3 et le tableau 5, nous observons que sur les 300 données, 212 ont procédé à un nourrissement avec du sirop du commerce, 150 ont nourri les colonies avec du candi, 98 avec du sirop artisanal, 55 ont eu recours à du miel produit sur l’exploitation et 16 enfin ont donné un autre produit glucidique. Une exploitation pouvant utiliser différents produits de nourrissement sur la même année, les proportions données de chaque type de produit étant différents d’une exploitation à l’autre. Le produit distribué en plus grande quantité est le sirop du commerce. C’est en effet l’option la plus simple en termes de disponibilité de produit et de facilité d’emploi, avec une médiane de 6,7 kg équivalent sucre distribués par colonie hivernée. Le sirop du commerce est suivi de loin par le sirop artisanal, qui nécessite une préparation, avec une médiane de 3 kg équivalent sucre par colonie hivernée. Le produit glucidique donné en plus faible quantité est le miel produit sur l’exploitation, du fait de sa valeur commerciale, avec une médiane de 0,33 kg équivalent sucre, ce qui correspond à 400 g de miel par colonie hivernée. Pour les exploitations productrices de gelée royale sous Label GRF-Gelée Royale Française®, c’est l’unique source de nourrissement glucidique autorisée pendant la période de production.

Des charges de nourrissent qui varient du simple au double

Pour terminer, nous nous sommes intéressés à ce que représente le coût du nourrissement (nourrissement glucidique et protéique compris) par colonie hivernée.

Graphique 4 : Charges de nourrissement par colonie hivernée pour chaque année.
Tableau 6 : Des valeurs médianes de nourrissement allant de 5 à 10 € HT de produit de nourrissement par colonie hivernée et par an. Valeurs des minimum, premier quartil, médiane, moyenne, troisième quartil et maximum pour les boxplots des charges de nourrissement en € HT par colonie hivernée pour chaque année.

Sur le graphique 3 et le tableau 5, nous observons la répartition des charges de nourrissement par colonie hivernée et par an. La médiane sur l’ensemble des données, toutes exploitations, régions et années confondues, est de 8 € HT, elle est représentée en pointillé sur le graphique. L’année pour laquelle la médiane des charges de nourrissement était la plus basse est 2011, avec une médiane d’environ 5 € HT par colonie hivernée. C’est également une des années pour lesquelles la quantité de nourrissement est faible. A contrario, 2020 détient la médiane des charges de nourrissement la plus élevée, autour de 10 € HT par colonie hivernée, mais cette valeur repose sur uniquement 9 données (ou exploitations suivies sur une année).

Premier bilan sur la pratique du nourrissement 

À partir de ces données, nous pouvons conclure que depuis le début de nos observations dans le RER, chacune des colonies hivernées a reçu environ 7 kg équivalent sucre sur l’année (valeur médiane). Le principal produit de nourrissement utilisé est le sirop du commerce avec 6,7 kg équivalent sucre donnés sur l’année, par colonie hivernée. Cette quantité de nourrissement fluctue en fonction des années et des conditions météorologiques. Les charges de nourrissement par colonie hivernée varient également en fonction des années, avec un coût médian d’environ 8€ HT par colonie hivernée.

Aujourd’hui, les pratiques, les périodes et les types de nourrissement sont l’objet de nombreux questionnements. En effet, l’utilité du nourrissement est bien connue, aussi bien pour stimuler des colonies, inciter les reines à pondre ou éviter les disettes, mais cette pratique pourrait aussi avoir un impact sur la qualité du miel produit. Plusieurs projets régionaux en cours tentent de clarifier ce point : les projets FeedBees, porté par l’ADAPI, et Nourrissement, mené par l’ADANA, s’intéressent aux pratiques de nourrissement des apiculteurs provençaux d’une part et néo-aquitains d’autre part mais aussi à l’impact sur la dynamique des colonies, leur production de miel, ainsi que sur la naturalité des miels produits. Par ailleurs, dans le cadre du projet ADAPT, mené par l’ADA AURA sur le changement climatique, l’objectif est de déterminer les bonnes pratiques de nourrissement en période de disette, et de développer un protocole de sélection pour les apiculteurs afin de sélectionner une abeille plus résiliente. Ces données, valorisées pour la première fois sur une série de 10 ans, complétées des résultats à venir de ces initiatives, montrent l’importance, au vu de l’enjeu du changement climatique et de la variabilité de la disponibilité des ressources mellifères, de produire et diffuser des références sur les pratiques de nourrissement.


Auteure et contributeurs : Cet article a été rédigé par Constance Beri (ITSAP), avec la contribution de Fabrice Allier (ITSAP), Cécile Ferrus (ITSAP) et Julien Vallon (ITSAP). 

Nous remercions le réseau des ADA et le GPGR pour leur engagement et leur expertise, ainsi que les apiculteurs qui ont accepté de donner de leur temps pour aider la filière à acquérir des données de références sur le fonctionnement des exploitations apicoles professionnelles.