L’adultération de la cire d’abeilles : une pratique frauduleuse difficile à enrayer

L’adultération de la cire d’abeilles par des cires minérales, végétales ou des graisses animales est parfois à l’origine de problèmes sanitaires sur les colonies d’abeilles dont les conséquences peuvent être économiquement préjudiciables pour les exploitations apicoles (perte de cheptel, sous-production d’essaims et de miel).
Par Cyril Vidau
(Photo : Test biologique développé par l’ITSAP et ses partenaires pour évaluer la qualité des cires)
« Peu de produits subissent autant de falsification que la cire d’abeilles ». Ainsi débute le chapitre que T.W. Cowan dédia à la falsification de la cire d’abeille dans son ouvrage « La cire : son histoire, sa production, ses falsifications et sa valeur commerciale » publié aux éditions Doin & fils en 1911. Plus de 100 ans plus tard, l’enquête administrative portant sur la filière française de transformation de cire des abeilles à usage apicole conduite par la Brigade Nationale d’Enquête Vétérinaire et Phytosanitaire (BNEVP) entre 2016 et 2017 témoigne que cette pratique frauduleuse est toujours d’actualité.
Un marché dominé par les importations
La cire d’abeilles est utilisée dans les exploitations apicoles sous forme de feuilles de cire gaufrées qui sont introduites dans les colonies pour renouveler des cadres trop anciens ou pour produire des essaims. Ces feuilles sont fabriquées par des ciriers qui transforment la cire que leur fournissent les apiculteurs et certains groupements apicoles ou bien qu’ils achètent auprès de grossistes et de négociants. La filière apicole Française n’est pas autosuffisante, pour alimenter les apiculteurs avec de la cire d’abeilles produite sur le territoire.
La quantité de cire produite en France est environ de 1,5 % de la production de miel, ce qui correspond environ à 300-500 tonnes de cire produite selon les années. Ces quantités sont bien insuffisantes pour satisfaire la demande (apiculture, industries cosmétique et agroalimentaire, …), c’est pourquoi plus de 2500 tonnes de cires supplémentaires sont annuellement importées principalement de Chine, des pays d’Amérique du Sud et d’Afrique via les ports du Havre et de Fos sur Mer.
Peu de contrôles
La valeur marchande de la cire d’abeilles pure oscille entre 6 euros et 9 euros lorsqu’elle est vendue sous forme de pain et entre 20 euros et 24 euros après transformation en feuille gaufrée. Compte tenu de sa rareté et de son coût relativement élevé, la tentation est grande de falsifier la cire à l’aide d’agents de coupage beaucoup moins onéreux. Et comme il n’existe pas de plan de contrôle officiel réalisé par les services vétérinaires que ce soit dans les ateliers de transformation ou au niveau des postes d’inspections frontaliers (PIF), l’ampleur du phénomène n’a jamais pu être objectivée.
La cire d’abeilles achetée par les négociants et les transformateurs ou collectée par des groupements apicoles auprès de leurs adhérents (dont 9 GDSA et 42 syndicats selon A. Schryve, ITSAP) fait elle aussi très rarement l’objet d’autocontrôle qui permettrait de s’assurer de sa pureté. Cette situation qui peut être qualifié de « négligence » par les services de la répression des fraudes s’explique par la manière dont se font la grande majorité des transactions. Les ciriers par exemple se voient apporter chaque année des centaines de lots de cire qu’ils rachètent aux apiculteurs.
Les volumes de cire qui font l’objet de ces transactions varient de quelques centaines de grammes à plusieurs dizaines de kilos et sont généralement payés comptant directement au magasin ou font l’objet d’un échange contre une quantité équivalente (-5 %) en feuilles de cire gaufrées. Ces lots de cire sont ensuite mélangés afin d’obtenir une quantité suffisante (300 à 500 kg) pour remplir les cuves dans lesquelles la cire est fondue avant d’être laminée puis gaufrée.
Les collecteurs tels que les GDSA et les syndicats réalisent quant à eux 1 à 2 fois par an des collectes au cours desquelles des dizaines d’apiculteurs (des apiculteurs de loisir pour l’essentiel) apportent les quelques kilogrammes de cires qu’ils ont produit dans l’année et contre lesquels ils se verront attribuer un peu plus tard (après transformation par un cirier) une quantité équivalente de cire sous forme de feuilles de cire gaufrées. Qu’il s’agisse des ciriers ou bien des collecteurs le grand nombre de lot de cire qu’ils ont à gérer ainsi que la faiblesse de leur quantité rend quasiment impossible d’un point de vue logistique et économique un autocontrôle systématique. Ajoutée à cela intervient une forte contrainte économique liée au cout des analyses nécessaires pour qualifier la pureté de la cire.
Ces analyses qui font appel à des techniques chromatographiques coutent en effet entre 100 et 500 euros par échantillon. Ce tarif est bien trop élevé pour qu’il soit rentable d’analyser la plupart des lots de cires que les ciriers ou les collecteurs perçoivent car leur valeur marchande est souvent inferieure au prix d’une analyse (le cout d’une analyse correspond environ au prix de 10 à 50 kg de cire en pain).
Les répercussions sanitaires et économiques de l’adultération
L’adultérant qui a récemment défrayé la chronique en France et au Benelux est la stéarine, un composé obtenu par saponification des graisses naturelles végétales ou animales qui est généralement employé pour la fabrication des bougies. Sa présence dans plusieurs lots de cire commercialisés en France fut en effet à l’origine de mortalité du couvain dans plusieurs dizaines d’exploitations apicoles situées dans les régions Centre, Grand Est et Auvergne-Rhône-Alpes.
Des études conduites en France par l’INRA Le Magneraud et en Belgique par l’institut de recherche de l’agriculture et de la pêche ont depuis confirmées que des concentrations de stéarine dans la cire supérieures à 15 % provoquaient une mortalité du couvain sans, toutefois, qu’un niveau d’exposition maximal sans effet nocif observable (NOAEL) est pu été défini. Mais beaucoup d’autres adultérants sont connus pour être utilisés pour falsifier la cire, et bien que leur emploi pour falsifier la cire semble être courant depuis la fin du 19ème siècle il n’existe pas de données toxicologiques qui permettraient d’évaluer leur impact sur les abeilles. On peut citer les paraffines, la céresine, la cire japonaise issue du Sumac à laque rouge, la cire de carnauba, la spermaceti, le suif ou encore le colophane.
Peu de moyens fiables pour détecter l’adultération
La falsification de la cire d’abeilles par des adultérants est une problématique centenaire pour laquelle très peu de travaux de recherche ont été réalisés (T.W. Cowan, 1911 ; J.P. Martinet, 2017). La composition de la cire d’abeilles est documentée mais les connaissances sur la présence d’adultérants et sur leurs effets toxiques pour les abeilles restent lacunaires (H.R. Hepburn, 1986 ; J. Serra Bonvehi , 2011 ; W. Reybroeck, 2017). Il en résulte qu’il existe actuellement chez les apiculteurs français un sentiment d’inquiétude et de fortes incertitudes sur la qualité des cire d’abeilles qu’ils emploient chaque année pour renouveler les vieux cadres ou produire des essaims. Par ailleurs les techniques employées pour détecter la présence d’adultérants sont couteuses, relativement peu sensibles et sont réservées à un usage de laboratoire.
La littérature scientifique met en avant plusieurs méthodes d’analyse permettant de détecter l’adultération des cires. Les techniques utilisées sont majoritairement liées à la détermination relativement fastidieuse d’une liste de paramètres physicochimiques (point de fusion, indice d’acide, indice de saponification, …) D’autres techniques moins empiriques font appel à la chromatographie gazeuse. Ces 2 types de méthodes présentent des niveaux de détection différents qui sont de 10 % pour la paraffine, 2 % pour l’acide stéarique et 10 % pour l’adultération du suif en utilisant les méthodes classiques et de 1 à 4 % pour chaque adultérant en utilisant les méthodes chromatographiques.
Elles sont toutes très consommatrices de temps, pas toujours très fiables en termes de répétabilité et nécessite un équipement de laboratoire avec des solvants et des consommables pour préparer les échantillons. De plus, elles conduisent toutes à une destruction de l’échantillon et produisent des déchets qui alimentent le circuit de recyclage chimique des laboratoires, ce qui ne va pas dans le sens actuel d’une recherche de minimisation des sortants pour réduire l’impact sur l’environnement.
De nouvelles techniques sont aujourd’hui mises en place dans certains laboratoires de contrôle. Elles reposent sur une analyse optique, donc sans solvant, et sont non destructrices de l’échantillon. Ce sont des techniques comme la spectroscopie infrarouge ou Raman qui à partir d’une mesure des énergies de vibrations des molécules produisent des empreintes caractéristiques de la composition chimique de l’échantillon.
L’infrarouge est donc une technologie adaptée à l’analyse rapide des cires d’abeilles dans un contexte de contrôle qualité, mais du fait des longueurs d’onde utilisées (4000-400 nm) et de l’optiques associées, le faisceau lumineux est peu pénétrant et rend difficile voire impossible une analyse plus en profondeur. Or la structure microcristalline de la cire n’est pas toujours homogène lors du refroidissement du pain de cire et cette hétérogénéité peu limiter la détection de l’adultération. En revanche, tout porte à croire que la spectroscopie Raman permettrait de dépasser cette limite et de miniaturiser et simplifier l’équipement ce qui en faciliterait l’utilisation par le plus grand nombre (ciriers, groupement d’apiculteurs, industriels, services vétérinaires).
Pour en savoir plus :
T.W. Cowan, 1911, La cire son histoire, sa production, ses falsifications et sa valeur commerciale (Edition O Doin&fils).
J.P. Martinet, 2017 La filière française de transformation des cires d’abeilles à usages apicole (DGAl/BNEVP).
H.R. Hepburn, 1986, Honeybees and Wax an expérimental history (Edition Springer-Verlag).
J. Serra Bonvehi J, 2011 Detection of adulterated commercial Spanish beeswax (Food Chem).
W. Reybroeck, 2017 Essai au champ : impact de l’ajout d’un mélange d’acide stéarique et palmitique (dénommé stéarine) à la cire d’abeilles lors du développement du couvain d’ouvrières (LVO-T&V)
Lire aussi http://itsap.asso.fr/wp-content/uploads/2017/01/16ly-114-002.pdf