Etude des effets des produits antiparasitaires et biocides utilisés en élevage chez l’abeille domestique – Restitution du projet BAPESA

La coexistence entre activité agricole et activité apicole sur un même territoire est généralement interrogée en raison du risque d’intoxication pour les abeilles que représentent les produits employés afin de garantir les récoltes des cultivateurs. En 2014, cette coexistence a été fortement interrogée mais dans un contexte inhabituel puisqu’il impliquait cette fois l’emploi de biocides et d’antiparasitaires par les éleveurs de bétails. Eu égard aux pertes de colonies enregistrées par les pouvoirs publics à l’issue de l’hiver 2013-2014 et compte tenu de la forte activité insecticide de certaines de ces substances, une étude épidémiologique fut mise en place afin d’explorer pour la première fois si l’usage de ces substances pouvait être un facteur de risque pour la santé des abeilles.
Faisant suite à l’épisode de mortalités survenu au cours de l’hiver 2008-2009 dans les massifs pyrénéens, des mortalités anormales de colonies d’abeilles mellifères ont de nouveau été enregistrées au cours de l’hiver 2013-2014 dans les mêmes secteurs de basse montagne. Une estimation des pertes réalisée par les apiculteurs sinistrés faisait état d’au moins 3000 colonies mortes ou non-valeurs dans le département de l’Ariège et de 1500 dans celui des Pyrénées-Orientales. Seule une partie des colonies mortes ou non-valeurs a fait l’objet d’une déclaration ou de visites, ce qui n’a pas permis le recensement exhaustif des ruchers atteints de surmortalité au cours de cet hiver 2013-2014.
Les premières enquêtes réalisées par les vétérinaires et les agents sanitaires des GDSA et des DD(CS)PP ont mis en évidence que les ruchers atteints de surmortalité avaient des profils hétérogènes (sédentaire ou transhumant, conventionnel ou biologique, en production d’essaims, de miel ou de gelée royale, appartenant à un apiculteur expérimenté ou nouvellement installé). L’enquête sanitaire a révélé que la plupart du temps, des traitements antiparasitaires contre la varroase avaient été réalisés mais leur efficacité sur plusieurs ruchers a toutefois été remise en question. Les affaiblissements et les mortalités observés de novembre à février ont en revanche des similarités, avec des colonies se caractérisant par (i) des réserves de miel et de pain d’abeilles en quantités suffisantes, (ii) une population réduite et l’absence de vieilles abeilles, (iii) des abeilles mortes dans et au-devant de la ruche, (iv) des mortalités survenues après une longue période de claustration.
Pour expliquer ces mortalités, les apiculteurs sinistrés ont avancé l’hypothèse d’une intoxication des colonies par des Biocides et AntiParasitaires utilisés en Elevage (BAPE) : ces produits sont des médicaments vétérinaires administrés aux animaux ou des biocides employés pour l’assainissement des bâtiments et des effluents d’élevage. Certaines des substances actives contenues dans ces produits ont un effet insecticide (lactones macrocycliques, organophosphorés, pyréthrinoïdes, …) et sont connues pour leur effet neurotoxique chez l’abeille. Les scenarii d’exposition suspectés concernent l’eau : l’eau issue des effluents d’élevage ou présente en surface de fèces contaminés par les BAPE serait rapportée à la ruche par les abeilles pourvoyeuses d’eau.
L’hypothèse d’une intoxication des colonies par des BAPE est appuyée d’une part par l’existence de zones d’élevage à proximité des ruchers atteints et d’autre part, par la présence de BAPE dans des effluents d’élevages échantillonnés au cours des enquêtes conduites par les services de l’Etat. En effet sur les 19 jus de fumier analysés à proximité des zones où des ruchers avaient subi des mortalités massives, la présence de BAPE (ivermectine et bifenthrine) a été observée dans deux échantillons. Les analyses d’échantillons d’abeilles mortes prélevés au cours des enquêtes ont également révélé la présence de lambda-cyhalothrine. L’interprétation de ces résultats est restée toutefois limitée en raison du caractère tardif des prélèvements (plusieurs semaines après les mortalités) et aucune relation de causalité entre l’usage de BAPE et les mortalités de colonies n’a pu être formellement établie.
Devant l’ampleur du phénomène et en l’absence de réponse conclusive satisfaisante, les pouvoirs publics ont décidé de financer la mise en place d’une étude épidémiologique dont l’objectif était de rechercher pour la première fois si l’utilisation de BAPE à proximité de ruchers pouvait être un facteur de risque pour la santé des colonies d’abeilles. La définition du protocole de l’étude a été confiée à l’ITSAP-Institut de l’abeille et à l’unité Abeilles & Environnement de INRAE (UMT PrADE, Avignon). Après une phase de co-conception en lien avec les parties prenantes (collectifs d’apiculteurs, ADAM, ADAPI) le protocole d’étude a été expertisé puis validé par la cellule d’appui scientifique de l’Anses. La mise en œuvre du protocole d’étude a été déléguée à l’ITSAP-Institut de l’abeille et placée sous la responsabilité d’un comité de pilotage animé par la DGAL.
Si une exposition des abeilles à des BAPE est théoriquement possible d’après la littérature, les résultats obtenus dans la présente étude ne permettent pas de conclure que leur emploi soit un facteur de risque avéré pour la santé des colonies d’abeilles mellifères. Le taux de mortalité inférieur à 5% ainsi que la faible occurrence d’événements de surmortalité d’abeilles ou d’affaiblissement mesurée en Ariège et dans la plaine de la Crau au cours des deux années d’études témoignent en effet que des colonies jeunes et saines installées dans des agrosystèmes pastoraux peuvent se développer et rester en bonne santé. L’absence d’impact négatif manifeste entre les usages de BAPE et l’état de santé des colonies ainsi que l’absence de BAPE dans les abeilles et le pain d’abeilles prélevés dans des colonies symptomatiques viennent renforcer cette observation. Seules les analyses réalisées pour étudier le lien entre le nombre d’UGB à proximité des ruchers et la survenue d’évènements de santé chez les colonies ont produit des résultats indiquant un impact négatif de la charge en animaux sur la santé des abeilles. Mais une analyse approfondie des données a révélé que dans la majorité des cas où ce lien est apparu, les animaux présents à proximité des colonies symptomatiques n’avaient pas été traités par des BAPE. Par ailleurs durant la période d’étude, les DDCSPP d’Ariège et des Bouches du Rhône n’ont pas enregistré d’évènements particuliers de surmortalités massives groupées déclarées par les apiculteurs (Meziani et al. 2017). Des recherches plus fondamentales sont à encourager telles que celles actuellement menées par INRAE dans le projet BeeO qui s’intéresse notamment à l’attractivité des effluents d’élevages et aux mécanismes de transfert des contaminants dans la colonie. Elles permettront de lever certaines zones d’ombre sur le comportement des porteuses d’eau lorsqu’elles sont à proximité des ressources hydriques et minérales disponibles dans les élevages.
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Auteurs : Cyril Vidau1,2, Constance Beri1,2, Fayçal Meziani3, Maryline Pioz2,4
1ITSAP-Institut de l’Abeille, INRAE, Centre PACA, Domaine Saint Paul, 228 route de l’Aérodrome, CS40509, F-84914 Avignon Cedex 09
2UMT PrADE Protection des Abeilles Dans l’Environnement, INRAE, Centre PACA, Domaine Saint Paul, 228 route de l’Aérodrome, CS40509, F-84914 Avignon Cedex 09
3Direction générale de l’Alimentation, Service des actions sanitaires en production primaire, DRAAF-SRAL Occitanie, Cité administrative, Bd Armand Duportal, F-31074 Toulouse Cedex
4UR406 Abeilles et Environnement, INRAE, Centre PACA, Domaine Saint Paul, 228 route de l’Aérodrome, CS40509, F-84914 Avignon Cedex 09