Effets des faibles doses dans l’évaluation du risque des pesticides sur l’abeille : un workshop organisé par l’ITSAP

Par Itsap-Com, le 19 February 2020

La soumission de la méthode de vol de retour à la ruche à l’OCDE en 2020 clôturera 5 années de test circulaire européen coordonné par l’ITSAP. Pour préparer la défense de la méthode à l’OCDE, nous avons organisé un Workshop international réalisant l’état des lieux des méthodes mesurant les effets des faibles doses de pesticides et des verrous empêchant leur inscription dans les procédures officielles d’évaluation des risques.

Depuis 5 ans, l’ITSAP coordonne la validation internationale d’une méthode permettant d’évaluer les effets de doses sublétales de pesticides sur le retour à la ruche des butineuses en conditions naturelles1. La finalité de ce travail est l’inscription de cette méthode dans les lignes directrices internationales de l’OCDE2 pour qu’elle soit employée dans le cadre des procédures d’évaluation du risque des pesticides avant leur mise sur le marché. Cette méthode est très attendue car il n’y a pas dans la procédure actuelle de test permettant d’évaluer de tels effets sur les abeilles.

La validation d’une méthode prend en compte l’adéquation avec des critères exigés par la procédure mais aussi l’intégration dans l’évaluation du risque des résultats qu’elle génère. Or, des points de blocage demeurent tant au niveau méthodologique que pour la prise en compte des effets des doses sublétales dans le schéma actuel d’évaluation du risque. Pour mieux identifier ces blocages et trouver des solutions, l’ITSAP en partenariat avec l’UMT PrADE (Protection des Abeilles dans l’Environnement) et l’ANSES a organisé un Workshop européen qui s’est tenu à l’ANSES le 30 janvier dernier avec différentes parties prenantes.

Vingt-quatre acteurs européens (Allemagne, Autriche, Suisse, Belgique, Italie, France) scientifiques, réglementaires, représentants apicoles, prestataires de service et industriels ont participé à ce workshop. La présentation de la journée et le programme de travail ont été introduits par l’ANSES. Cette journée s’est organisée autour de deux sessions de travail :

Un état des lieux de la problématique (matinée)

  • Trois points de vue : 1) scientifique (INRA), 2) partie prenante consultée pour la révision du Document Guide de l’EFSA3 (CARI) et 3) évaluateur du risque (EFSA).
  • La présentation des résultats du test inter-laboratoires européen (encore appelé test circulaire) pour la validation du test de retour à la ruche (ITSAP).
  • La présentation de travaux sur l’âge de butinage et sur les pertes « naturelles » de butineuses en conditions réelles qui furent particulièrement intéressant pour interpréter la variabilité des résultats du test de retour à la ruche (CNRS).

Deux ateliers de travail en petits groupes (après-midi)

  • Le premier atelier avait pour objectif de recueillir les avis des participants et savoir si selon eux, les tests comportementaux répondent ou non aux critères demandés pour une validation dans le cadre des procédures d’évaluation du risque. Les participants devaient donc noter des tests en fonction de quatre critères : la faisabilité (facilité de réalisation), la sensibilité (capacité à mesurer des différences entre des abeilles exposées et non exposées), la robustesse (résultats variant le moins possible), la reproductibilité (résultats retrouvés d’un laboratoire à l’autre), la pertinence écologique (effets en conditions de plein champ). Quatre exemples de tests ont été proposés : le test d’extension conditionné du proboscis, le test mesurant l’activité de butinage à un nourrisseur, le test évaluant les effets sur la communication sociale (danse frétillante) et le test de retour à la ruche.
  • Le second atelier consistait à réaliser un exercice simulant l’utilisation des résultats de plusieurs tests de retour à la ruche dans un contexte d’évaluation du risque d’un produit. Les groupes de participants devaient restituer les résultats pour des questions portant directement sur l’exercice et des questions plus ouvertes d’appréciation de la démarche proposée et d’utilisation du test selon le schéma d’évaluation du risque

Cette journée s’est conclue sur les points importants, les blocages et les perspectives rapportés par un représentant de l’OCDE. Les retours des participants sur la journée ont été très positifs.

Méthodologies d’évaluation des effets sublétaux

Le matin, un tour d’horizon a rappelé l’avancée des connaissances scientifiques qui témoignent des nombreux effets induits par des doses sublétales de pesticides chez l’abeille (de la cellule à l’individu jusqu’à la colonie). Les méthodes mesurant les effets des doses sublétales sur le comportement de l’abeille sont plus nombreuses que celles qui s’intéressent par exemple aux effets sur sa physiologie car leurs résultats sont plus facilement interprétables dans une démarche d’évaluation du risque. D’autres méthodes pourraient être considérées pour mesurer les effets sur la reproduction, les glandes hypopharyngiennes (HPG) des nourrices, ou encore sur la durée de vie des abeilles… Les effets sur les HPG et sur la reproduction avaient déjà été identifiés dans le document guide EFSA de 2013 mais il n’y a pas encore de méthode développée prête à être validée.

Les résultats du test circulaire obtenus durant 5 ans pour la validation du test de retour à la ruche ont montré que celui-ci répond aux critères de :

  • Faisabilité puisqu’une majorité de laboratoires ont pu mener le test (73 % des 41 tests réalisés sur 5 ans),
  • Sensibilité pour mesurer des effets chez les abeilles exposées comparées aux abeilles non-exposées (83 % des 30 tests réalisés avec succès sur 5 ans ; tous les tests ont mesuré des effets les deux dernières années),
  • Reproductibilité des résultats car la grande majorité des laboratoires ont pu établir le paramètre final du test, à savoir une dose sans effet sur le retour à la ruche en µg/abeille (83 % des 30 tests réalisés avec succès sur 5 ans)4,
  • Pertinence écologique puisque les effets sont mesurés en conditions réelles et que le non-retour des abeilles à la ruche peut être relié à de la mortalité (perte d’abeilles)

Le point de débat concerne la robustesse du test en raison de la variabilité des performances de retour mesurées en conditions réelles. Cette variabilité des résultats concerne en premier lieu les abeilles non-exposées (abeilles témoins) dont le succès de retour varie majoritairement entre 60% et 100% en fonction des tests et des sites. Pour répondre aux exigences réglementaires, un critère de validité du test doit être fixé. Celui-ci correspond au succès de retour minimum acceptable chez les abeilles témoins. Au cours des échanges certains participants ont estimé qu’un succès minimum de 60 % était trop faible malgré le fait qu’il n’y est pas de références sur les pertes naturelles au champ.

Solution : Les connaissances apportées, comme celles de l’étude présentée au workshop évaluant le taux de pertes « normale » de butineuses en conditions réelles sont importantes pour aider à définir des seuils d’acceptabilité pour les tests réglementaires avec des mesures au champ. Cette étude montre que les pertes de butineuses varient en fonction de l’âge et appuierait la considération d’un taux de perte journalier maximum de 30 % (soit un succès de retour minimum de 70 %).

Les discussions de la matinée et les résultats du premier atelier l’après-midi permettent ainsi de constater qu’il n’existe pas de test comportementaux répondant parfaitement à tous les critères considérés (faisabilité, sensibilité, robustesse, reproductibilité des résultats, pertinence écologique). C’est plutôt un compromis entre ces critères qui doit être recherché.

Pour l’atelier 1, le test sur le comportement de butinage à un nourrisseur de sirop offre le meilleur compromis en étant, en moyenne, le mieux noté pour l’ensemble des critères. Il était notamment considéré comme plus facile à mettre en œuvre et pour certains, plus robuste que le test de retour à la ruche. Ce dernier était cependant bien placé pour la sensibilité ou la reproductibilité des résultats, et surtout le mieux noté pour la pertinence écologique. Le test mesurant les effets sur la communication sociale (danse frétillante) a été le moins bien noté, probablement étant le plus méconnu chez les participants.

Évaluation du risque pour les effets des doses sublétales

La présentation de l’EFSA a rappelé que le schéma d’évaluation du risque actuel considère la force de la colonie à savoir le nombre d’individus dans la ruche comme objectif de protection (OP) pour quantifier le risque pour les abeilles. Ce qui intéresse ainsi l’évaluateur c’est le lien entre exposition des abeilles au pesticide et son impact sur la taille et la survie de la colonie. La concordance ne pose pas problème pour l’évaluation des effets sur la mortalité directe (effets létaux). Mais aux yeux de l’évaluateur ce lien entre effet sur les individus et la colonie devient difficile à mesurer lorsqu’il s’agit d’effet sublétaux. De fait, les avancées pour la prise en compte des effets de faibles doses restent difficiles et sont encore peu visibles. Par exemple, la présentation de la matinée montre que les tests portant sur les HPG ou la reproduction sont classés par l’évaluation du risque comme n’ayant pas « de lien clair ou explicite » avec l’OP. Le test portant sur le retour à la ruche a un « lien évident », puisque les butineuses ne retournant pas à la ruche meurent, mais malgré tout « non quantifié ».

Les efforts doivent se concentrer pour faire évoluer ce système d’évaluation d’autant qu’il a été réaffirmé au cours de ce workshop que les effets sublétaux sont importants et doivent être considérés pour l’évaluation du risque. Pour les participants, le test de retour à la ruche a sa place dans le schéma d’évaluation.

Solution : Le premier travail de l’évaluateur sera de déterminer s’il y a un risque pour les abeilles en comparant les doses avec effet sur le retour à la ruche aux doses auxquelles elles sont réellement exposées en conditions naturelles. Si un risque est identifié, la seconde étape sera de savoir si ces effets sur les individus peuvent affecter la colonie. Pour répondre à cette question, la modélisation mathématique est l’outil qui fait consensus. Cet outil permettrait également d’intégrer d’autres paramètres tels que des facteurs environnementaux ou sanitaire qui peuvent moduler les effets mesurés chez les abeilles exposées au produit. Pour le test de retour à la ruche, différentes études ont montré l’impact de facteurs comme le paysage, la température et varroa sur les performances de retour des abeilles exposées au produit (Henry et al. 2014 ; Monchanin et al. 2019)5. Des modèles candidats sont en développement pour les procédures d’évaluation du risque mais il n’existe pas encore de modèle validé utilisable en routine.

L’exercice de l’atelier 2 a permis de tester les solutions précédemment énoncées pour intégrer les résultats du test de retour à la ruche dans l’évaluation du risque. D’après les participants ces solutions sont en accord avec la démarche d’évaluation. A la question de son utilisation, la majorité d’entre eux ont répondu que l’emploi du test de retour à la ruche ne devrait pas être systématique mais devrait dépendre du mode d’action du produit ; les insecticides neurotoxiques étant ceux qui doivent être priorisés. Il est vrai que le vol de retour est considéré comme validé pour mesurer les effets de ces produits. Toutefois la question de la pertinence de son utilisation se pose aussi pour d’autres produits comme les fongicides ou les herbicides car des études utilisant d’autres technologies ont montré qu’ils pouvaient influencer l’orientation et la navigation des abeilles.

Prochaines étapes pour le test de retour à la ruche

L’année 2019 était la dernière du travail de validation du test de retour à la ruche via le test circulaire. Le dépôt des résultats et de la méthode est prévu dans un mois pour évaluation par l’OCDE. Si validée, la méthode sera soutenue au plus tôt ce printemps pour une approbation dans les procédures OCDE d’ici la fin de l’année ou le début d’année prochaine.

Contact : julie.fourrier(a)itsap.asso.fr

1 http://blog-itsap.fr/apiculture-realisation-dun-test-circulaire-europeen-vol-de-retour/
2 Organisation de Coopération et de Développement Economique
3 European Food Safety Authority
4 Un test comprend 2 à 3 répétitions considérées chacune comme valides si le succès de retour des abeilles non-exposées est ≥ 60 %
5 http://blog-itsap.fr/effet-dun-insecticide-vol-de-retour/