Sélection génétique des abeilles 

Par Itsap-Com, le 24 November 2022

Comment évaluer les meilleures candidates ? 

Durant la saison apicole, les apiculteurs.rices-sélectionneurs.ses s’attèlent à l’évaluation de leurs colonies en mesurant leurs performances. Sur la base de ces premières données, ils devront faire l’épineux choix de celles susceptibles de produire les reines et les mâles. Autant d’étapes critiques, reposant sur la définition de critères d’évaluation, ainsi que la collecte et l’analyse de données, pour lesquelles l’erreur n’est pas permise, d’où l’importance de méthodes et d’outils d’aide à la décision fiables. Explications. 

La démarche de sélection génétique consiste à identifier et choisir les individus reproducteurs afin d’espérer observer une amélioration des performances au sein de leurs descendants. Cette démarche va courir sur plusieurs générations d’abeilles, en appliquant une pression de sélection minimale et ce, afin d’obtenir un progrès génétique en minimisant les pertes de diversité génétique. Cela permet d’éviter le risque de gènes trop resserrés donnant lieu à des phénomènes de consanguinité.  

Le testage, un point clé de l’amélioration génétique  

Au démarrage du processus, il s’agit de définir un ou des objectifs de sélection : la recherche de colonies autonomes en cas de disette par exemple. A partir de là, on identifie les caractères biologiques mesurables des abeilles, permettant de progresser vers l’atteinte de cet objectif, alors appelés critères de sélection. Pour illustration, la capacité à faire des réserves dans le corps peut être retenu comme l’un d’entre eux. On établit ensuite, pour chacun de ces critères, un protocole de mesure afin de pouvoir évaluer l’aptitude des individus à correspondre à l’objectif, c’est la phase dite du « testage ». Pour reprendre le même exemple de l’autonomie alimentaire recherchée des colonies, cela peut consister à évaluer les couronnes de miel autour du couvain.  

L’expression des caractères dépend des conditions environnementales. Une colonie « économe » ne montrera pas ses aptitudes si elle n’est pas confrontée à une période de disette. La plupart des caractères dépendent d’une multitude de gènes aux effets variables et de leurs interactions entre eux. Certains gènes peuvent en effet, être présents dans le génome mais ne pas s’exprimer.  

L’évaluation des colonies estime la pertinence qu’il y a à propager le génome porté par les reproducteurs. Pour cela, on regarde les performances des colonies candidates à la sélection. Cela indique ce que leurs gènes peuvent exprimer en condition, c’est-à-dire dans leur environnement actuel. Sélectionner en ne tenant compte que des performances propres s’appelle la « sélection massale ». Pour en savoir plus sur les gènes dont l’expression est masquée du fait des conditions environnementales ou des interactions spécifiques du génome de la colonie en question, on peut considérer les performances des colonies apparentées (ancêtres, sœurs ou descendantes). Cela améliore la robustesse du classement des colonies candidates à la sélection. Le poids des observations des apparentés dans l’évaluation de la colonie dépend de la proximité généalogique.  

Le BLUP, un outil d’accompagnement pour le choix des reproducteurs 

L’intégration de l’ensemble de données de performance rend l’analyse complexe.  Pour cela, il est possible de travailler avec un modèle mathématique particulier permettant de considérer les particularités généalogiques de l’abeille et les facteurs environnementaux. Il s’agit du BLUP pour Best Linear Unbiaised Predictor (en français, « Meilleure Prédiction Linéaire non Biaisée »). A partir des données de performance de l’ensemble des apparentés, celui-ci fournit pour chaque colonie, une valeur d’élevage qui permet d’estimer le potentiel d’amélioration des descendants. Ensuite, la gestion des appariements des reproducteurs vise à optimiser le progrès génétique afin d’atteindre ses objectifs de sélection, tout en limitant l’évolution du taux de consanguinité. 

Plusieurs filières animales utilisent des modèles BLUP dans le cadre de leurs travaux de sélection. En Europe et en Amérique du Nord, des initiatives ont vu le jour pour adapter cet outil aux spécificités de l’abeille. En France, les chercheurs de l’Institut national  de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAe) travaillent à améliorer un modèle BLUP dédié à cet insecte, conçu à l’origine par les scientifiques de Wageningen. L’ITSAP-Institut de l’abeille s’associe à INRAe, l’UMT PrADE et le SYSAAF (Syndicat des Sélectionneurs Avicoles et Aquacoles Français), spécialiste de la sélection génétique des animaux, pour mener un vaste projet de transfert et développement de l’outil BLUP en apiculture afin d’en tester l’utilisation. 

Au cours de l’automne et l’hiver 2022 et 2023, INRAe accompagnera les ingénieurs du SYSAAF et de l’ITSAP-Institut de l’abeille en les formant à l’utilisation du BLUP Abeille. L’intégration de cet outil dans la filière s’appuiera sur des discussions avec des porteurs de projets-pilotes de sélection, des sélectionneurs ou sélectionneuses à échelle individuelle ou collective. Il sera alors possible d’étudier dans le détail l’intérêt d’un tel outil pour ces plans de sélection. Parallèlement, un groupe consultatif formé d’acteurs et actrices de la sélection sera créé pour prendre en compte la grande diversité des démarches existantes. Les échanges avec ces professionnels permettront de comprendre le fonctionnement actuel de la sélection, les limites des jeux de données pour l’utilisation pertinente du BLUP et les possibilités d’optimisation ; L’opportunité donc de construire des plans de sélection possibles et de s’assurer de leur faisabilité.  

Dans un second temps, l’objectif sera d’accompagner les acteurs de la sélection dans leurs travaux. Ces derniers resteront maitres des grandes étapes du plan de sélection ainsi que propriétaires de leurs données. Ils pourront obtenir des indicateurs tels que des index génétiques combinant les valeurs d’élevage pour chaque caractère selon les pondérations choisies mais aussi des estimations d’héritabilité, des estimations de progrès génétique et des propositions d’accouplement.  

De toute évidence, ces travaux sur l’analyse des données de sélection avec l’outil « BLUP abeille » promettent de belles perspectives. Il est enthousiasmant de participer à l’adaptation de cette méthode de sélection à la situation française !