Déclaration des enjeux de l’ITSAP-Institut de l’abeille sur le service de pollinisation en milieu agricole : Synthèse de l’étude

Par Itsap-Com, le 13 July 2018

F. Allier, S. Bellanger et A. Decourtye (ITSAP-Institut de l’abeille)

Pour en savoir plus, vous pouvez consulter la synthèse de l’étude : Fiche_synthese_Pollinisation_V020718

Depuis sa création en 2010, l’ITSAP, et comme son nom l’indique, est l’institut technique et scientifique de l’apiculture et de la pollinisation. Il est ainsi qualifié, au travers de l’ACTA, par le ministère de l’Agriculture pour répondre aux enjeux du service de pollinisation dans le cadre du programme de développement agricole et rural (PDAR). Très rapidement, il y a eu une volonté d’intégrer le service de pollinisation dans ses travaux de recherche finalisée et de développement.

Si l’impact de l’ensemble des travaux de l’ITSAP visant l’amélioration de la santé de l’abeille domestique et la durabilité de l’apiculture œuvre pour renforcer le service de pollinisation sur nos territoires, il semblait important dans ce travail de mieux cibler les réflexions sur les références à livrer aux cultivateurs et aux apiculteurs comme leviers d’action plus directs sur le service de pollinisation. Ce service peut être décliné en deux principales composantes : la pollinisation non contrôlée réalisée par l’ensemble des pollinisateurs, à savoir les espèces d’insectes sauvages et l’abeille domestique, et la pollinisation contrôlée par apport d’insectes pollinisateurs domestiqués, notamment par le partenariat avec les apiculteurs. Les efforts, au sein de l’ITSAP, ont été principalement orientés ces dix dernières années sur l’acquisition de références concernant la mise à disposition de colonies d’abeilles mellifères par les apiculteurs (Allier F., 2012 ; Anamso, 2014 ; Anamso, 2014).

Le rapport qu’entretiennent les apiculteurs avec le service de pollinisation évolue en fonction des opportunités et des stratégies de l’exploitation. Mais avant tout, l’apiculteur s’identifie comme un éleveur d’abeilles productrices de miel (Ferrus et al., 2018). L’ITSAP a également organisé des temps d’échanges entre les différentes parties prenantes du sujet, tels que le colloque de Mercurol dans la Drôme (2011) aux côtés de l’ANAMSO, ou encore actuellement dans l’animation du groupe de travail « Service de pollinisation et insectes pollinisateurs » avec l’INRA d’Avignon et l’UMT PrADE dans le cadre du RMT Biodiversité et agriculture (2015-2018).

Compte tenu de ses expériences et de la nécessité de préciser ses futures orientations, l’ITSAP a souhaité réaliser une déclaration des enjeux, en s’adressant aux représentants et aux experts des filières, pour répondre aux questions suivantes :

  • Quel rôle l’institut peut-il jouer sur la question de la pollinisation ?
  • Quelles nouvelles connaissances peut-il générer et transférer vers les apiculteurs, l’ensemble des agriculteurs et les structures techniques et du développement en France ?

Cette synthèse décrit le paysage des actions menées sur le sujet, ainsi que les besoins et/ou attentes des acteurs scientifiques et socio-économiques en lien avec le service de pollinisation dans les agroécosystèmes ont pu être identifiés. Enfin, nous proposerons des pistes pour mieux positionner l’ITSAP dans le champ des travaux à réaliser sur le service de pollinisation en milieu agricole.

Démarche

  • Identifier les acteurs impliqués sur les questions de service de pollinisation dans les agroécosystèmes.
  • Réaliser un état des lieux de l’avancée des connaissances acquises sur le service écosystémique de pollinisation par les insectes pollinisateurs en France (Apis et non-Apis).
  • Fournir aux instances de gouvernance de l’ITSAP les éléments pour les accompagner dans la précision du futur périmètre d’investigation en R&D de l’institut.

Méthode de travail

1. Entretien avec 35 personnes représentantes des structures adhérentes à l’ITSAP et des experts impliqués sur les problématiques de la pollinisation dans les agroécosystèmes des structures de R&D et socio- professionnelles : filière apicole (3), interprofessions agricoles (2), instituts techniques agricoles (7), acteurs privés (3), formation (1) et ONG et/ou fondations (3), représentants de l’État (2), recherche (14).

2. Réalisation d’entretiens semi-ouverts d’environ 1h, enregistrés puis retranscrits suivant quatre grands axes :

  • général : définition du service de pollinisation, connaissances actuelles des travaux de recherche et transfert de ce savoir (outils utilisés, freins et leviers) ;
  • les actions menées en lien avec la pollinisation par la structure interrogée, leurs points forts et limites ;
  • les besoins/attentes identifiés sur le service de pollinisation dans les agroécosystèmes ;
  • les points de vue sur l’implication actuelle et future de l’ITSAP sur le service de pollinisation en milieu agricole. La perception de l’engagement actuel de l’ITSAP sur certains sujets n’a été demandée qu’aux personnes connaissant la structure.

Pour le monde apicole, le parti pris a été de cibler des apiculteurs représentants de la filière apicole, et décisionnaires des orientations de la R&D. Face à l’absence de réponse des administrateurs de l’ITSAP à la proposition d’entretiens téléphoniques ou présentiels, un questionnaire a été envoyé à 6 représentants des syndicats adhérents à l’ITSAP. Seules 2 réponses par écrit ont été obtenues, aboutissant de fait à une faible représentation des représentants de la filière apicole dans l’étude. L’analyse des entretiens ne suit pas une typologie des personnes interviewées (monde agricole ou apicole, scientifique ou professionnel…).

Cette action a été intégrée à mi-parcours de la révision du programme 2014-2020 de l’ITSAP, et réalisée grâce à l’embauche de Solène Bellanger pendant 8 mois en 2017.

Besoins et attentes des mondes apicole et agricole

L’élément principal qui ressort dans les attentes concerne la transmission des informations acquises et la sensibilisation des apiculteurs, des agriculteurs ou les deux conjointement. Il apparaît principalement la nécessité de structurer l’offre en prestation de pollinisation par les apiculteurs : c’est-à-dire pérenniser la présence d’apiculteurs sur le territoire, mieux connaître la répartition des colonies sur le territoire et promouvoir le service de prestation et l’optimiser. Les apiculteurs expriment aussi leur souhait de disposer davantage de références techniques sur les pratiques apicoles en pollinisation. Ceci implique de caractériser les pratiques performantes et de déterminer les différents comportements de butinage des abeilles domestiques en fonction des cultures. Par ailleurs, de nombreux apiculteurs expriment des risques d’affaiblissement des colonies lors des ateliers d’échanges sur la pollinisation, par conséquent les acteurs interviewés, du monde agricole ou apicole, souhaitent une meilleure connaissance des causes de ces affaiblissements. Pour apiculteurs et agriculteurs, la concrétisation de cette prestation de pollinisation doit passer par une étape de rencontres et d’échanges techniques autour des deux métiers. Des relations de confiance doivent être établies et notamment en démocratisant une charte de bonnes pratiques en prestation de pollinisation, adaptée aux cultures ciblées (par exemple, celle de Beewapi étendue aux principales cultures entomophiles).

Lors des entretiens, il ressort que la sensibilisation des agriculteurs au service de pollinisation est un axe essentiel à mener, en particulier sur son impact positif pour certaines productions végétales (qualité et quantité). Les personnes interrogées soulignent bien la nécessité pour les acteurs de terrain de prendre en compte le contexte paysager des parcelles agricoles à polliniser. Enfin, il est proposé de constituer un socle commun de connaissances servant d’appui technique pour les conseillers, limitant ainsi les messages divergents. Pour cela, l’ensemble des professionnels, au travers de leurs filières végétales et apicoles, doivent intensifier leurs échanges et proposer des actions communes.

Selon la catégorie d’acteurs, les freins à la diffusion et au transfert des informations scientifiques évoqués sont le manque de temps pour rédiger (chercheurs) ou pour s’informer des dernières connaissances (conseillers de terrain), les difficultés d’accès aux études ou de compétences sur la recherche bibliographique (conseillers de terrain), le manque de compétences dans les formats utilisés pour communiquer vers les acteurs de terrain (chercheurs), la méfiance sur la vulgarisation et les raccourcis faits (chercheurs), la divergence possible des messages entre les divers acteurs (recherche, instituts, coopératives, chambres d’agriculture, entreprises…), ou encore le manque de financement ou d’appui politique pour accomplir la diffusion (chercheurs).

Axes de recherche suivis par les acteurs scientifiques interrogés

Les sujets concernant le service de pollinisation étudiés par les interviewés, et qualifiés par eux de nécessaires à entreprendre en milieu agricole, ont été regroupés en neuf grands thèmes de recherche, classés ci-dessous par le nombre de citations :

  1. Mesurer la contribution des espèces (sauvages et domestique) à la pollinisation selon les cultures ;
  2. Identifier et prioriser l’ensemble des facteurs (mécanismes et processus) ayant un impact positif ou négatif sur le service de pollinisation rendu par les insectes sauvages et domestiques ;
  3. Comprendre les interactions entre pollinisateurs sauvages et domestiques (compétition pour la ressource, synergie inter-espèces, comportement de butinage…) ;
  4. Caractériser les liens entre culture/pratiques agricoles/zone géographique/paysage (habitat semi-naturel, distance à la parcelle, surface de la parcelle) par rapport à l’abondance et à la diversité des insectes pollinisateurs ;
  5. Déterminer les charges en colonies ou nombre de cadres par unité de surface par culture et la disposition des colonies dans le paysage ;
  6. Caractériser l’impact de la sélection variétale (et des variétés) sur la dépendance aux insectes pollinisateurs et sur le service de pollinisation (qualité du pollen et du nectar produit) de l’espèce végétale ;
  7. Étudier l’impact du changement climatique sur les interactions plantes-pollinisateurs dans le processus de pollinisation ;
  8. Identifier les insectes pollinisateurs en France en fonction des milieux et de la zone géographique ;
  9. Identifier les liens entre qualité des sols (et leur travail) /santé des plantes/production de nectar/attractivité/présence des pollinisateurs.

Propositions d’actions à mener

Au-delà du besoin de compléter les connaissances générales en lien direct ou non (santé des abeilles) avec le service de pollinisation en milieu agricole, la recherche doit améliorer le transfert des résultats scientifiques et techniques sur le terrain. Les résultats doivent donc être traduits en composantes opérationnelles pour les gestionnaires, conseillers, apiculteurs, agriculteurs, etc. Par exemple, cela pourrait se concrétiser par la réalisation d’un index qui référence la dépendance aux pollinisateurs des principales plantes cultivées (et leurs variétés) en France, l’impact du service de pollinisation sur leur rendement (qualité et quantité), et si possible l’efficience de la pollinisation en fonction des espèces et/ou groupes fonctionnels d’insectes pollinisateurs. Par ailleurs, l’enquête fait ressortir qu’il est aussi primordial que les scientifiques traduisent leurs résultats en recommandations afin d’orienter les politiques publiques (modes de gestion des espaces naturels, semi-naturels, cultivés…), et en préconisations pour les apiculteurs et les agriculteurs (itinéraires techniques et pratiques adaptés à la préservation des insectes pollinisateurs).

Pour en savoir plus, vous pouvez consulter la synthèse de l’étude : Fiche_synthese_Pollinisation_V020718